Le parlement conjugal de Paulina CHIZIANE

 

Je commence le mois de mars sur les chapeaux de roues avec cette lecture qui m’emmène au Mozambique. J’ai emprunté le roman à la médiathèque de ma ville en cédant à la curiosité vis à vis de ce sujet: la polygamie.

Des foyers polygames j’en connais et je n’ai pas encore vu de femme épanouie dans ce type de relation. Les femmes de ma connaissance qui sont dans des foyers polygames ne sont pas expansives sur le sujet, chose que je peux comprendre. Après tout pourquoi partager ce qu’elles vivent avec des personnes qui ne sont pas confrontées à la même réalité ?

Quoiqu’il en soit, je n’ai pas été déçue par le roman qui m’a tenue en haleine jusqu’à la dernière page.

Le roman raconte l’histoire d’une quadragénaire, Rami qui découvre que son mari a quatre autres femmes et foyers. L’intrigue repose sur comment cette femme mettra son époux Tony au pied du mur afin d’assumer sa situation de polygame et les responsabilités qui en découlent. Mais comme on le découvrira en cours de la lecture, Rami n’est pas au bout de sa peine.

On voit bien au fil des pages l’évolution des sentiments du personnage qui blâme tout le monde dont elle même principalement des infidélités de son mari pour commencer puis finira par voir la réalité en face. Rami est au centre du roman et ces différentes interactions nous la révèlent peu à peu.

La relation entre Rami et son mari

Ce livre a soulevé de multiples questions: jusqu’où une femme peut aller par amour pour son mari ?

Quels types d’humiliations est-elle capable de subir pour garder son mari ?

Rami est humiliée dans tous les aspects par son mari qui dans ce système patriarcal joui totalement et sans restriction de son privilège d’être un homme, d’être un homme de pouvoir dans la société. Le mépris qu’il a pour ses femmes qu’il considère comme des biens m’a sidéré tout le long du roman.

Rami m’a dérangé, elle m’a transporté, édifié dans ces décisions et réflexions, exaspéré souvent mais à chaque fois, elle est entière et vit tout ce qu’elle a à vivre à fond et parfois même avec humour.

La relation “étrange” entre Rami et ses co-épouses

Rami rencontre chacune des co épouses, éprouve des sentiments mitigés pour elles mais est toujours bienveillante. Elle se positionne très vite en mère chef, en leader de ce petit groupe de femmes, situation dont elle tire parfois une certaine fierté étrange.

Sa confrontation avec les autres femmes la fait chuter de son piédestal. Convaincue de détenir la position la plus enviable d’épouse officielle, elle sera ramenée sur terre en discutant avec les autres femmes de Tony qui par leur personnalité la challengent aussi.

Je dois dire que j’ai adoré leurs  dialogues épiques. Beaucoup de peine découlent de ces discussions mais elles en sortent grandies.  On voit naître entre elles une relation de sororité vu qu’elles devront souvent se serrer les coudes face à l’adversité. C’est à se demander parfois si elles ne préfèrent pas la compagnie des unes des autres à celle de ce mari qu’elles partagent.

Le femmes devraient être plus amies, plus solidaires. Nous sommes majoritaires, la force est de notre côté. Si nous joignons nos mains, nous pouvons transformer le monde. Les guerres qu'on se fait pour conquérir un amour terminé consomment notre temps et notre meilleure énergie.

L’émancipation de la femme

Un des éléments qui revient souvent dans les histoires des autres femmes de Tony est que d’une manière ou d’une autre, il les a sorti de la galère. On est forcé à se demander si ces femmes auraient pris la décision de se mettre dans ce type de relation si elles étaient émancipées. Une ébauche de réponse est dans le roman bien entendu.

Paulina Chiziane transmet un portrait de la condition de la femme dans son pays. Elle doit naviguer entre tradition et modernité. Elle fait face au patriarcat et à une masculinité destructrice. Le plus dur je pense est d’être confrontée aux autres femmes qui souvent garantes des traditions, perpétuent des comportements délétères qui entravent leur propre épanouissement.

Je transmets aux femmes la culture de la résignation et du silence, comme je l'ai apprise de ma mère. Et ma mère l'a apprise de la sienne. Cela a toujours été depuis des temps immémoriaux. Comment pouvais-je imaginer que je coupais les ailes de mes filles dès leur naissance et que je voilais leurs yeux avant qu'elles aient pu connaître les couleurs de la vie?

Ce roman parle d’un féminisme qui ne m’est pas inconnu mais il va encore plus loin en dressant le portrait intime de ces femmes qui coopèrent et ont en commun d’aspirer à vivre mieux et libres.

 

Editions: Actes Sud

Publication: 2006

Share: