Les tirailleurs sénégalais à l’honneur avec David Diop

 

Cela fait une semaine que je tourne en rond, cherchant le moyen de chroniquer ce bijou de littérature que la bookstagrameuse  @vidareads m’a envoyé jusqu’à ce que la réponse s’impose : lui parler dans ma tête m’aidera à rédiger cette note.

Alpha Ndiaye m’a parlé, il a psalmodié ses paroles et ses actes au creux de mes oreilles m’embarquant avec lui, des tranchées à son village natal de Gandiol, toujours en compagnie de son plus que frère Mbemba Diop.

Il m’a raconté la “folie temporaire” des jours de combats dans les tranchées et comment il a basculé dans la “folie permanente” qui l’a poussé à commettre des actes qu’il n’aurait jamais osé avant de “s’autoriser à penser par lui même”.

Aussi loin qu’Alpha Ndiaye se souvienne, Mbemba Diop a toujours fait partie de sa vie. Ils se sont choisis l’un l’autre comme frère depuis l’enfance. Ils se sont construits en tant que personne autour de cette amitié. Lorsque Mademba Diop, son plus que frère veut aller à la guerre parce que “l’école lui a mis dans la tête de sauver la mère patrie, la France”, Alpha le suit dans son rêve. Alors quand Mbemba Diop meurt dans d’atroces souffrances, “son dedans dehors” comme tant d’autres au cours de cette guerre, Alpha Ndiaye perd la tête, il sombre dans un délire psychotique. Le mur de la raison qui protège son esprit s’effrite et fini par s’effondrer.

Je sais, j'ai compris, je n'aurais pas dû. Dans le monde d'avant, je n'aurais pas osé, mais dans le monde d'aujourd'hui, par la vérité de Dieu, je me suis permis l'impensable. Aucune voix ne s'est élevée dans ma tête pour me l'interdire: les voix de mes ancêtres, celles de mes parents se sont tues quand j'ai pensé faire ce que je j'ai fini par faire. Je sais maintenant, je te jure que j'ai tout compris quand j'ai pensé que je pouvais tout penser.

Suite à la lente agonie puis la mort de son âme “frère” Mbemba Diop, le jeune soldat Alpha Ndiaye déclare qu’il a vécu une renaissance qui lui a offert la clairvoyance. Mais pour renaître, ne faut il pas mourir ? A mon avis c’est ce qui s’est passé. Ce jour là, sur le champ de bataille, la vie de deux jeunes hommes s’est arrêtée.

La récurrence de l’expression “par la vérité de Dieu”  a marqué la dimension incantatoire des confessions du jeune Alpha. C’est comme si à cause de toutes les atrocités qu’il a vécu durant cette guerre, son esprit s’était enrayé.

L’écriture de David Diop m’a conquise, j’ai été happée par cette histoire des “soldats chocolats”, qui font la guerre avec “un fusil réglementaire dans une main et un coupe coupe dans l’autre “. Ces hommes noirs auxquels le capitaine demande de camper le rôle de sauvages et sanguinaires afin de nourrir l’imaginaire collectif et apeurer l’adversaire.

David Diop se sert de la vie d’Alpha Ndiaye et Mbemba Diop pour rendre hommages aux tirailleurs sénégalais, nous rappelons que leur comportement héroïque qui les inscrit dans l’Histoire, leur a coûté un prix inestimable.

Le roman est en deux parties, la première dépeint la vie du jeune Alpha Ndiaye au front et la seconde sa vie d’avant la guerre. C’est lorsqu’il nous raconte cette histoire personnelle que je suis tombée sous le charme des talents de conteur de l’auteur. Cette façon qu’a Alpha Ndiaye de raconter son enfance, son village et de ses parents est tellement touchante!

Il était vieux comme un paysage immuable, elle était jeune comme un ciel changeant. Il était immobile comme un baobab, elle était la fille du vent. Parfois les contraires se fascinent tant ils sont éloignés l'un de l'autre. Penndo avait fini par aimer mon père, ce vieil homme, parce qu'il concentrait toute la sagesse de la terre et des saisons qui reviennent. Mon père, ce vieil homme, idolâtrait Penndo parce qu'elle était tout ce qu'il n'était pas: le mouvement, l'instabilité joyeuse, la nouveauté.

L’auteur nous a offert un roman sur les liens. Ceux qui nous lient à l’humanité, ceux qui en régissent la définition. On se demande à la lecture du roman si ces règles sont immuables.

David Diop écrit sur tous ces liens de filiation, d’amour d’amitié qui nous rattachent à la vie, certains plus fermement que d’autres. Il signe un petit roman par la taille 175 pages, terriblement bouleversant et mémorable.

Je te remercie vivement Vida pour ce cadeau et nous souhaite d’autres lectures croisées.

Editions: Seuil

Publication: 2018

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