Reste avec moi – Ayobami Adebayo

Il y a des histoires qui nous marquent.
Tu sais le genre d’histoire qui te rappelle pourquoi tu aimes tant lire.
Le genre d’histoire qui te prend aux tripes et dont tu sais qu’elle va t’habiter longtemps.
C’est le cas pour « Reste avec moi » de Ayobami Adebayo. C’est un premier roman. Ah ces auteurs Nigérians!

Reste avec moi est une histoire d’amour. Mais l’amour dans ce qu’il a de plus noble, de plus grand, de plus complexe. L’amour qui donne sans compter, l’amour qui pardonne, l’amour qui détruit aussi.


Yejide et Akinyele filent le parfait amour depuis environ quatre ans. Le genre d’amour qui commence par un coup de foudre, qui transporte. Et longtemps ils se contenteront l’un de l’autre. Seule ombre tableau, le couple ne parvient pas à concevoir un enfant.
Comme beaucoup, j’ai souvent entendu la phrase « On n’épouse pas seulement un homme, on épouse aussi sa famille ».
C’est justement sous la pression familiale que le couple passera du duo au trio.
Yejide est sous le choc, elle ne s’y attendait pas car elle a été très claire à ce sujet avec Akin, elle ne veut pas d’un mariage polygame. Mais Yejide aime Akin, elle ne veut pas le perdre. Elle décide qu’il lui faut à tout prix un enfant, elle fera le nécessaire.

J’avoue avoir présumé du contenu de ce roman, même si je me disais que l’histoire devait être bien racontée à cause des échos positifs que j’ai eu dessus. Et je peux vous assurer que rien ne s’est passé comme je m’y attendais dans ce roman. Quel tacle !
Je vais juste donner un aperçu de l’histoire parce que tout l’intérêt du roman réside dans la découverte de l’histoire.

Yejide : quand la quête de la maternité cache une quête de soi.

Yejide est une épouse, une femme active, mais Yejide n’a pas d’enfant. Telle est sa hantise, son fardeau à porter, sa honte, sa faute vis-à-vis de la famille de son mari.
On pourrait croire que l’entrée en scène de la seconde épouse sera son pire cauchemar mais il n’en est rien.
Ce mariage polygame est l’occasion de remonter dans ses souvenirs d’enfance, elle-même étant issue d’un foyer polygame.
J’ai beaucoup aimé le parallèle qu’elle fait entre sa situation et celles des épouses de son père. Cela nous donne un aperçu de la condition de certaines femmes dans la culture yoruba, son évolution sur environ trente ans.

Akin a désormais une autre épouse. Yejide veut offrir sa vie à quelqu’un mais ce don doit avoir du sens. Quoi de mieux que la maternité pour réaliser ce rêve ? C’est comme si elle cherchait à vivre la relation qu’elle n’a pas eu avec sa mère, décédée à sa naissance, en ayant des enfants.

J’étais prête à partager. Un homme n’est pas quelque chose qu’on peut garder pour soi ; un homme peut avoir plusieurs épouses, mais un enfant ne peut avoir qu’une seule mère. Une mère.

Au fil des pages, on voit son centre d’intérêt se déplacer de son mariage avec Akin, la seconde épouse vers son désir ardent et ravageur d’enfant.

En lisant son témoignage, nombreuses questions émergent. Qu’est-ce que cela signifie d’être mère ? Qu’est-ce qu’une mère apporte dans la vie de ses enfants ? Quelles conséquences produisent son absence ?
Pour Yejide ces questions sont omniprésentes et l’absence de sa mère est fondatrice dans sa construction en tant que femme.

Akin, au-dessus de tout soupçon.

Yejide est un personnage qu’on aime, on la suit volontairement dans ses réflexions, joies, peines incommensurables.
Mais il y aussi Akin, l’époux. Yejide est son monde.

Elle est tout ce qu’il a toujours désiré et fera l’impensable pour la garder. Mais il a des responsabilités vis-à-vis de sa famille. En tant qu’aîné, il lui revient de perpétrer la lignée.

Je suis tombé amoureux de Yejide dès le premier instant. Aucun doute là-dessus non plus. Mais même l’amour est impuissant face à certaines choses. Avant de me marier, je croyais que l’amour était capable de déplacer les montagnes. Je ne tardai pas à comprendre qu’il ne pouvait pas supporter le poids de quatre années sans enfant.

L’alternance des points de vue entre les deux, sur l’évolution de leur union est très intéressante et révélatrice des pressions subies par chacun. Cela aide à comprendre certains choix faits par les personnages.

Je dois dire qu’il y a un décalage dans le ressenti lors des épreuves que traverseront le couple. Cet homme ne laisse pas indifférent, c’est le moins que je peux dire sans vous spoiler. Par exemple, Akin se raccrochera obstinément à l’histoire d’amour qu’ils ont vécu alors que Yejide est aux prises avec des souffrances inouïes qui vont au-delà de leur union.

D’une main de maître, Ayobami Adebayo nous invite dans les dessous d’un mariage sur une vingtaine d’années avec en toile de fond l’histoire politique du Nigéria. Cette façon méthodique de décortiquer quel enchaînement d’événements ont amenés ce couple à ce dénouement est ce qui m’a le plus fasciné dans ce roman.

Elle challenge les contradictions de la culture yoruba.

Une femme n’est complète que lorsqu’elle est mère. Voilà la croyance fondamentale dans cette culture. Comme d’habitude, les traditions misogynes et destructrices pour les femmes  sont entretenues et perpétrées par d’autres femmes. L’incarnation de cette culture se fait dans le personnage de la mère d’Akin dont les interventions sont aussi cruelles que légendaires. Il y a un échange entre elle et Yejide page 56 qui m’a glacé le sang.

Reste avec moi est l’histoire d’un mariage et comme souvent dans les cultures africaines, c’est une histoire de famille. J’ai particulièrement aimé l’accent mis sur l’environnement toxique que peut créer un mariage polygame surtout sur les enfants.
Le roman est une succession de révélations, rebondissements, situations poignantes qui s’imbriquent et s’intègrent parfaitement dans l’histoire.
Au-delà de l’histoire d’amour avec l’autre, il y a la relation à soi. Comme toutes les interactions humaines, le mariage a le don de pousser à la remise en question. Quels éléments sont fondateurs de votre personnalité ? Qu’est ce qui a votre avis, vous manque pour être pleinement comblé ?
Telles sont les problématiques auxquelles les personnages sont confrontés dans le roman. Ces questions sont essentielles pour pouvoir parler d’amour, pour arriver à la résilience, au miracle de la vie.
Ce roman m’habite depuis que je l’ai terminé. Magistralement écrit, je n’ai pas pu le lâcher sauf par nécessité. Je le recommande vivement à toute personne qui lira mon billet.

Editions : Charleston

Parution : 2019

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